4 août 2010
La justification suivante est-elle constitutive d’un juste motif de révocation ?
Dans le cadre d’un mandat de commissaire, un réviseur d’entreprises a été choisi personnellement en tant que représentant de la société de révision et sa nomination a été effectuée comme suit : « la société de révision XXX représentée par Madame AAA ». Il existe donc une relation intuitu personae avec la société auditée qui l’a mandatée (voir rapports annuels IRE 2006 p. 70-71 et 2003 p. 79 ainsi que le livre IRE 2004 La société et son commissaire).
Par la suite, il a été mis fin à la collaboration entre la société de révision XXX et la personne physique Madame AAA avec effet au 30/09.
Début septembre, le conseil d’administration de la société auditée décide de révoquer la société de révision de son mandat de commissaire et de convoquer au 1er octobre une assemblée générale extraordinaire devant se prononcer sur la révocation du commissaire et sur la nomination d’une nouvelle société de révision représentée par Madame AAA.
Dans le cadre de la révocation, il convient de respecter les articles 135 et 136 du Code des sociétés / articles 3:66 et 3:67 du Code des sociétés et des associations :
- La révocation ne peut avoir lieu en cours de mandat que pour juste motif ;
- Lors d’une assemblée générale convoquée à cet effet ;
- Après avoir notifié à l’intéressé l’inscription de cette question à l’ordre du jour de l’assemblée ;
- Après avoir annoncé dans l’ordre du jour et mis à disposition des associés les observations éventuelles du commissaire ;
- En informant le Collège de supervision des réviseurs d’entreprises de la révocation.
Dans le cas présent, la révocation sera justifiée par le fait :
Par hypothèse, la société de révision XXX reçoit la justification de cette proposition de révocation, prend acte de celle-ci et n’émet pas d’observation.
L’assemblée générale extraordinaire de la société aura donc à l’ordre du jour :
Le procès-verbal de l’assemblée générale reprendra la justification de la révocation du commissaire.
Ensuite, cette démission devra être notifiée au Collège de supervision des réviseurs d’entreprises par la société auditée et par le commissaire (la société de révision XXX). La justification de la révocation, telle que décrite ci-dessus, ainsi que le PV AGE seront envoyés pour exposer les motifs de la révocation au CSPE.
Le déroulement de la procédure est-il complet et correct ?
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L’ICCI comprend que toute l’argumentation repose sur le fait que vous considérez que le mandat en question a été attribué à la société de révision (avec laquelle le commissaire va cesser sa collaboration) donc en considération de ce qu’il est convenu d’appeler le caractère intuitu personae. La formulation de la décision de nomination est ambiguë et ne permet pas à elle seule de déterminer s’il s’agit ou non d’une nomination intuitu personae.
Le Professeur Dr. B. Tilleman considère au point 4.2.2. de la publication ICCI 2007/2, Le statut du commissaire (Bruges, La Charte, 2007, p. 40-41) : « La nomination d’un représentant permanent risque d’être considérée comme intuitu personae, si la formulation est par exemple libellée comme suit : « La société nomme comme commissaire la société de révision…, représentée par Monsieur/Madame… ». Par dérogation au principe général, l’assemblée générale qui confie la mission de commissaire à une société de révision peut en effet explicitement décider qu’elle ne procède à cette nomination qu’en considération de la désignation intuitu personae de telle personne physique comme représentant permanent. Celui-ci ne pourra alors être remplacé que par décision de l’assemblée générale, le cas échéant, après accord du conseil d’entreprise. ».
Dès lors, dans le cas soumis, c’est dans le contexte propre à la nomination de la société et dans ses éléments précontractuels qu’il faut rechercher la volonté des parties. L’ICCI ne peut dès lors ni confirmer ni infirmer le caractère intuitu personae de la nomination.
L’ICCI n’est par ailleurs pas en mesure de pouvoir confirmer que la démission du représentant permanent, nommé intuitu personae, d’un cabinet de révision constitue un juste motif de révocation du mandat de commissaire de ce cabinet de révision au sens de l’article 135, § 1er du Code des sociétés / article 3:66, §1er du Code des sociétés et des associations, étant donné que cette hypothèse ne figure dans aucun texte législatif, n’est reprise dans aucun exemple de doctrine et, à notre connaissance, ne fait l’objet d’aucune jurisprudence.
La procédure mentionné correspond effectivement au prescrit des articles 135 et 136 du Code des sociétés / articles 3:66 et 3:67 du Code des sociétés et des associations. L’ICCI veut toutefois relever que le timing qui sera retenu devra permettre le respect des délais de convocation prescrits par le Code des sociétés (et des associations), étant entendu qu’un temps suffisant doit être laissé à la société de révision dont la révocation est envisagée pour lui permettre de faire valoir ses éventuelles observations qui devront être communiquées aux associés/actionnaires en même temps que les convocations à l’assemblée.
Si la révocation ne comporte aucun risque pour le commissaire, cette approche n’est pas sans danger pour la société cliente qui prend l’initiative de la révocation. L’ICCI estime qu’il est du devoir du commissaire d’attirer l’attention du client sur le risque que les justes motifs ne soient pas retenus. Certes, il n’y a pas de litige entre les parties. Mais en sera-t-il toujours ainsi ?
Sans prendre position sur une quelconque alternative à la révocation dont question ci-dessus, l’ICCI présente ci-après quelques réflexions sur trois autres possibilités qui pourraient être envisagées :
1. La représentation ad hoc
Dans la mesure où il n’y a pas de litige entre les parties, l’ (ancien) cabinet qui détient le mandat et le commissaire même pourraient convenir que lui continue à le représenter pour ce seul mandat jusqu’à son terme, alors même qu’il ne fait plus partie du cabinet. En effet, l’article 22 de la loi du 7 décembre 2016 portant organisation de la profession et de la supervision publique des réviseurs d’entreprises qui est habilité à représenter la société de révision et dispose ce qui suit :
« Chaque fois qu'une mission révisorale est confiée à un cabinet de révision, ce cabinet de révision est tenu de désigner un réviseur d'entreprises personne physique en tant que représentant permanent. Ce réviseur d'entreprises personne physique doit être en relation avec ce cabinet en tant qu'associé ou autre, et chargé de l'exécution de ladite mission au nom et pour compte du cabinet de révision. Dans l'exécution de cette mission révisorale, le réviseur d'entreprises, personne physique, qui représente le cabinet de révision, détient seul le pouvoir de signature pour le compte du cabinet de révision. Il participe activement à l'exécution de la mission révisorale.».
L’ICCI est d’avis que cette disposition permet à un réviseur de représenter un cabinet avec lequel il a uniquement un lien contractuel. Afin de pouvoir intervenir comme représentant du cabinet, le commissaire devra donc conclure, avec ce cabinet, une convention spécifique portant sur la représentation dans le mandat en question. Ce type de collaboration pourrait avoir pour conséquence que le cabinet et le commissaire soient considérés comme faisant partie d’un même réseau au sens de l’article 3, 8° de la loi du 7 décembre 2016. L’ICCI propose dès lors d’étudier les conséquences pratiques éventuelles de cette situation avant de conclure une telle convention de collaboration.
2. Le collège
Une autre possibilité serait que le réviseur d’entreprises soit nommé commissaire à titre personnel (ou le nouveau cabinet dont il fait partie) en collège avec son ancien cabinet qui, en accord avec l’assemblée générale de la société cliente, désignerait un nouveau représentant. Cette approche pourrait toutefois présenter l’inconvénient d’augmenter le coût du mandat du commissaire pour la société cliente si le commissaire décide de lui répercuter les coûts additionnels résultant de l’existence du collège.
3. La démission
Le cabinet de révision que le commissaire représente pourrait envisager de présenter sa démission à une assemblée générale en faisant rapport par écrit sur les raisons de cette démission, conformément à l’article 135, § 1er, dernier alinéa du Code des sociétés / article 3 :66, §1er, dernier alinéa du Code des sociétés et des associations. L’ICCI est dans l’impossibilité de recommander cette solution étant donné que l’ICCI n’est pas en mesure de conclure si les raisons invoquées pour démissionner sont suffisantes. Le commissaire qui démissionne assume toujours toute la responsabilité de sa démission. Cette démission devra en outre être notifiée tant par la société que par le commissaire au Collège de supervision des réviseurs d’entreprises en exposant de manière appropriée les motifs.
En cas de révocation du commissaire, la même procédure de notification au CSR doit être respectée.
Finalement, quelle que soit l’approche choisie, il y a lieu de tenir compte des obligations à l’égard d’un éventuel conseil d’entreprise.
Pour plus d’information concernant l’interruption du mandat de commissaire, nous renvoyons à l’avis 2019/10 du Conseil de l’institut des réviseurs d’entreprises, publié le 9 avril 2019 et disponible sur le site de l’IRE : https://doc.ibr-ire.be/fr/Documents/reglementation-et-publications/Doctrine/Avis/2019-10-avis-Interruption-du-mandat-de-commissaire.pdf