21 mars 2022
La perte de confiance dans l'organe d'administration (et l'actionnaire) est-elle un motif acceptable de démission du commissaire lors d'une assemblée générale ?
« Ma question porte sur les motifs de démission du commissaire lors d’une assemblée générale.
Notre cabinet est commissaire de la société précitée, et j'en suis le représentant permanent. Il s'agit de la première année de notre mandat, que nous avons repris à un confrère qui a démissionné pour raisons de santé. La société a été reprise par un nouvel actionnaire en mai 2020 et nous avons été nommés en juillet 2021. Il y a un conseil d'entreprise. L'actionnaire est une société étrangère, avec un administrateur unique étranger également. Il y a une direction locale en place (historique), avec qui j'ai mes contacts principaux. La société fait face à des problèmes de continuité, qui sont la conséquence d'une absence d'investissements et de la hausse brutale des prix de l'énergie en 2021/2022. J'ai entamé fin décembre 2021 la procédure visée à l'art. 3:69 CSA. A l'examen des réponses reçues (et compléments d'informations demandés), j'ai constaté que l'administrateur unique ne me donnait pas toutes les informations.
Un nouvel interlocuteur est entré en jeu, nommé par l'administrateur unique, et c'est lui qui est chargé officiellement de communiquer avec moi. Je constate qu'il ne répond pas à toutes mes questions et joue la montre pour me donner des informations (alors même que ces informations, je les reçois de la direction locale en place, qui, elle, est transparente avec moi). Je suis allé au bout de la procédure visée à l'art. 3:69 en écrivant, début mars 2022, au président du Tribunal de l'Entreprise.
Suite à la constatation d'informations cachées et/ou fournies avec délais, s'installe progressivement un perte de confiance envers l'administrateur unique (par ailleurs bénéficiaire effectif de l'actionnaire unique). Avec ce que cela implique sur la crédibilité des déclarations reçues de cette personne.
Ma question est donc la suivante : la perte de confiance dans l'organe d'administration (et l'actionnaire) est-elle un motif acceptable de démission lors d'une assemblée générale ? ».
« Le commissaire ne peut, sauf motifs personnels graves, démissionner en cours de mandat que lors d'une assemblée générale et après lui avoir fait rapport par écrit sur les raisons de sa démission. ».
Ensuite, l’ICCI se réfère aux pages 7 et 8 de l’avis 2019/10 du Conseil de l’IRE ( [1] ), qui est in casu très important :
« Dans tous les cas, le commissaire ne peut pas remettre sa démission de façon inopportune, et certainement pas entre la clôture de l’exercice comptable et l’assemblée générale ayant à statuer sur les comptes annuels. Le Conseil de l’Institut estime que dans certaines circonstances (p.ex. en cas de problèmes de continuité), la notion « pas de façon inopportune » est plus stricte encore qu’« après la clôture de l’exercice comptable ». Il faut aussi éviter de démissionner lorsque l’exercice comptable est pratiquement expiré ( [2]).
Le commissaire doit soigneusement mettre en balance, d’une part les conséquences de sa démission pour la société, notamment l’impact négatif sur la continuité du contrôle au sein de la société, et sa propre motivation, d’autre part ( [3]).
Lorsque le commissaire motive de façon inappropriée sa démission lors de l’assemblée générale, la démission risque d’être réputée avoir été remise de manière non conforme. Ce caractère non conforme de la démission peut engager la responsabilité du commissaire (indemnisation de la part du commissaire) et éventuellement donner lieu à des mesures et amendes administratives en raison de l’exercice incorrect du mandat ( [4]). Au sein de la doctrine, il n’existe cependant pas de consensus sur la question de savoir si cette démission volontaire non conforme pourrait également entraîner l’invalidation même de la démission ( [5]).
Si le commissaire démissionne volontairement (sans motifs personnels graves) d’une société pourvue d’un conseil d'entreprise, il est tenu d’informer au préalable et par écrit le conseil d’entreprise des raisons de sa démission (art. 159, al. 2 C. Soc.) [art. 3 :91, al. 2 CSA].
Le Conseil de l’Institut est d’avis qu’en l’absence de la notification au conseil d’entreprise, la démission risque d’être déclarée nulle. ».
Toutefois, la démission pourrait être jugée inopportune si elle devait intervenir lors d’une assemblée générale spéciale alors que l’exercice social est écoulé (ou presque écoulé) et avant que les comptes annuels et le rapport du commissaire aient été soumis à l’assemblée générale ordinaire. En effet, dans cette hypothèse, la démission, même justifiée, pourrait apparaître comme le refus de prendre ses responsabilités dans un rapport qui devrait être porté à la connaissance des tiers par la publication à la Centrale des bilans.
“( [2]) IRE, Vademecum, Tome 1: Doctrine, Bruxelles, Editions Standaard, 2009, p. 545 ; IRE, Rapp. annuel, 1986, p. 74.”
“( [3])I. DE POORTER, « Art. 135 W. Venn. » dans Artikelsgewijze commentaren vennootschappen en verenigingen, Antwerpen, Kluwer, 2010, p. 13, n° 23.”
“( [4]) IRE, Rapp. annuel, 1985, p. 52 ; Exposé des motifs du projet de loi relatif à la réforme du révisorat d’entreprises », Doc. parl. Chambre, 1982-83, n° 552/1, p. 18 ; Rapport VERHAEGEN, Doc. parl. Chambre 1982-1983, n° 552/35, p. 49 ; R. VAN ASBROECK et P. DE BOCK, Zoeklicht op de commissaris-revisor, Antwerpen, Kluwer, 1986, p. 12.”
“( [5])B. TILLEMAN affirme que la démission non motivée peut également être invalidée à la demande de tout intéressé (devant le juge du fond) pour le motif que l’obligation de motivation serait impérative. I. DE POORTER rappelle cependant que l’obligation légale concernant la motivation de certains licenciements est également impérative mais qu'aucune sanction de nullité n'a été prévue en la matière (B. TILLEMAN, Le statut du commissaire, ICCI, 2007/2, Bruges, La Charte, p. 98, n° 178 contra I. DE POORTER, « Art. 135 W. Venn. » dans Artikelsgewijze commentaren vennootschappen en verenigingen, Antwerpen, Kluwer, 2010, p. 15, n° 28.”