5 décembre 2018
La situation est la suivante: le commissaire d’une société souhaite réduire son capital contre ses pertes.
La question est de savoir si le montant maximum de cette réduction de capital est limité aux pertes reportées (donc selon les comptes annuels approuvés lors d’une assemblée générale ordinaire) ou si ce montant peut également tenir compte des pertes de l’exercice en cours (éventuellement constatées par un conseil d’administration).
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1. L’article 614, alinéa 1er du Code des sociétés énonce que : « L’article 613 ne s’applique pas aux réductions du capital en vue d'apurer une perte subie ou en vue de constituer une réserve pour couvrir une perte prévisible ou en vue de constituer une réserve indisponible, conformément à l’article 622, § 2, alinéa 2, 5°. ».
/ L’article 7:210, alinéa 1er du Code des sociétés et des association énonce que :
« L'article 7:209 n'est pas applicable aux réductions du capital en vue d'apurer une perte subie ou en vue de constituer une réserve pour couvrir une perte prévisible ou en vue de constituer une réserve indisponible, conformément à l'article 7:217, § 2.»
2. Des vues divergentes existent sur la notion de « perte subie ». Une majorité des auteurs ([1]) considèrent que la notion de « perte subie » vise une perte définitivement constatée dans les comptes annuels. Avant qu’il ne soit définitivement établi que la perte s’est effectivement maintenue tout au long de l’exercice, il convient, selon cette doctrine, de la considérer comme une « perte prévisible », de sorte qu’une réduction du capital formelle n’est possible que pour la constitution d’une réserve visant à couvrir une perte prévisible, réserve sur laquelle les pertes peuvent ensuite être imputées si elles sont devenues définitives.
Pour que la constitution d’une telle réserve soit possible dans les conditions d’une réduction formelle du capital, les « pertes prévisibles » doivent déjà présenter un caractère quelque peu concret. Elles peuvent par exemple provenir des chiffres intermédiaires de l’exercice en cours ou d’un plan de restructuration soumis à l’assemblée générale ( [2] ). La notion de « pertes prévisibles » comprend donc aussi les pertes de l’exercice en cours qui ont déjà été effectivement encourues, mais qui n’ont pas encore été officiellement enregistrées dans les comptes annuels définitifs ( [3] ).
3. Le Conseil de l’IRE, sur proposition de la Commission juridique de l’IRE, a exprimé un avis divergent appuyant son argumentation sur la nécessaire cohérence entre la disposition relative aux réductions de capital et l’article 633 du Code des sociétés (anciennement 103 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales)/ l’article 7:228 du Code des sociétés et des associations. Selon le Conseil la perte subie « devra résulter d’une situation comptable établie avec toutes les garanties suffisantes. Il est recommandé de soumettre cette situation comptable à l’assemblée appelée à délibérer sur la réduction de capital afin que son information soit suffisante. » (4)
4. Il ne fait aucun doute que le montant maximum d’une réduction formelle de capital n’est pas limité aux seules pertes reportées. Il existe cependant une incertitude sur la possibilité d’inclure dans la réduction de capital formelle le montant des pertes de l’exercice en cours qui n’auraient pas été constatées dans des comptes annuels approuvés par l’assemblée générale. Selon un ancien avis, elles pourraient être considérées comme des « pertes subies ». Selon une autre doctrine, il est vrai majoritaire, il s’agirait de « pertes prévisibles » impliquant la constitution d’une réserve pour couvrir ces pertes prévisibles, de sorte que les pertes de l’exercice en cours puissent ensuite être imputées si elles sont devenues définitives, et pour autant que les conditions mentionnées dans l’article 614, alinéa 2 du Code des sociétés soient respectées.
La réserve constituée pour couvrir une perte prévisible ne peut excéder 10 % du capital souscrit après réduction, elle ne peut, sauf en cas de réduction ultérieure du capital, être distribuée aux actionnaires et elle ne peut être utilisée que pour compenser des pertes subies ou pour augmenter le capital par incorporation de réserves (art. 614, al. 2 C. Soc./ art. 7:210, al. 2 CSA).
5. Lors de sa réunion du 28 novembre 2018, la Commission juridique de l'IRE a réexaminé son avis et a décidé de se rallier à la position de la doctrine majoritaire reprise ci-dessus.
( [1] ) M. Massagé, L’adaptation du droit des sociétés anonymes, Swinnen, Bruxelles 1985, p.11; R. Tas, Winstuitkering, kapitaalvermindering en -verlies in NV en BVBA, Kalmthout, Biblo, 2003, p. 462, n° 676, comme également cité dans H. Braeckmans et R. Houben, Handboek vennootschapsrecht, Anvers, Intersentia, 2012, p. 645-647, nos 1207-1208; P. Hamer et J. Pochet, “Commentaire de l’article 614 C. Soc.” In X, Commentaire systématique Code des Sociétés, Bruxelles, Kluwer, 2002, p. 1-6.
( [2] ) R. Tas, Winstuitkering, kapitaalvermindering en -verlies in NV en BVBA, Kalmthout, Biblo, 2003, p. 465, n° 680 (traduction libre).
( [3] ) R. Tas, Winstuitkering, kapitaalvermindering en -verlies in NV en BVBA, Kalmthout, Biblo, 2003, p. 465, n° 680 (traduction libre).
(4) IRE, Rapport annuel, 1987, p. 97-99; Cet avis est repris dans la brochure CBNCR 4/1988 Travaux de la Commission juridique de l’Institut des Réviseurs d’Entreprise, p.46 (https://doc.ibr-ire.be/fr/Documents/reglementation-et-publications/publications/etudes-ire/Profession/Travaux%20de%20la%20commission%20juridique%20de%20l%E2%80%99IRE.pdf)
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