8 octobre 2007
Les faits peuvent être résumés comme suit:
Une personne envisage d'acquérir 100% d'une société dont le prix serait libellé de la manière suivante:
1) une partie fixe payable au comptant: l'équivalent des fonds propres de la société à acquérir;
2) une partie variable (« earn out ») payable dans quatre années, correspondant à trois fois la moyenne du résultat net de ces quatre années (ce qui aura pour résultat de payer un « earn out » correspondant à trois quart de la somme des résultats de ces quatre années).
Par exemple (la proportion entre les fonds propres et les résultats estimés correspond au cas évoqué):
Fonds propres 2007: 600
Résultat 2008: 500
Résultat 2009: 520
Résultat 2010: 510
Résultat 2011: 530
Moyenne des résultats 2008 à 2011: 515
Paiements:
A l'acquisition: 600
Début 2012: 1.545
Les avis de la Commission des Normes Comptables (CNC) 126/9 et 126/10 prévoient la comptabilisation de l'« earn out » au moment du paiement.
Le deuxième avis confirme que l'amortissement de l'écart d'acquisition résultat du paiement de l'« earn out » débute à la date du paiement, mais est à étaler sur la durée originale résiduelle.
Ces avis sont principalement justifiés par le fait que le paiement est soumis à une condition suspensive.
L’acquéreur potentiel considère que cette méthode aura un impact déséquilibré et déphasé sur les résultats de l'ensemble consolidé, car:
L'application de cet avis, en ce qu'il conduirait l'entreprise à n'enregistrer dans un premier temps que les fonds propres pour prix d'acquisition, l'amènera à se trouver en porte-à-faux vis-à-vis de l'avis CNC 126/17 « Détermination de la valeur d'acquisition d'actifs obtenus à titre onéreux ou à titre gratuit. ».
Il conviendrait également de tenir compte par analogie de l'avis CNC 148/6 – « Traitement dans les comptes d'opérations assorties d'une condition suspensive », qui prévoit que « Si l'accomplissement éventuel de la condition [suspensive] génère une charge, il convient, en application de l'article 19, alinéa 3 de l'arrêté royal du 8 octobre 1976, de constituer une provision pour couvrir le risque de perte. Cette charge éventuelle découle en effet d'une opération conclue au cours de l'exercice écoulé et doit dès lors être imputée à l'exercice concerné. ».
En effet, l'acquisition en l'année X générera (très) probablement une charge au cours des années X+4 et X+5.
Sur base de ces considérations, et en vue notamment de respecter ces deux derniers avis, l'entreprise se propose de comptabiliser le prix de l'acquisition au moment de la signature de la convention d'acquistion, de la manière suivante:
Il peut être répondu à cette problématique de la manière suivante:
La situation décrite ci-dessus est fort proche de celle visée par le point 3 de l'avis 126/9 de la CNC. La seule différence est qu'il n'existe pas de paiement à effectuer par tranches, mais d'un seul montant payable à fin 2012. Conformément à une interprétation stricte de cet avis, la tranche supplémentaire du prix d'acquisition des actions ne devrait être enregistrée qu'au moment de l'accomplissement de la condition suspensive, c'est-à-dire la réalisation effective d'un bénéfice global pour les quatre exercices 2009-2012.
Toutefois, dans un avis ultérieur (148/6) la CNC prend position que, si la réalisation d'une condition suspensive génèrerait une charge, il convient, en application de l'actuel article 33 de l'arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du Code des sociétés, de constituer une provision pour couvrir le risque.
On peut observer que l’argumentation développée par la société porte sur les comptes consolidés. On peut donc distinguer l’approche dans les comptes statutaires de celle dans les comptes consolidés.
Du point de vue des comptes annuels statutaires
On peut remarquer que le cas développé ci-dessus n’est pas formellement réglé par l’arrêté royal du 30 janvier 2001 et que les avis de la CNC, comme rappelé sur le site de cette Commission (www.cnc-cbn.be), n’ont pas de force obligatoire. En outre, de son interprétation des avis CNC 126/9 et 148/6 mentionnés ci-dessus, l’organe de gestion, sous le contrôle du commissaire, doit se laisser guider par les principes de l’image fidèle du patrimoine et de la situation financière (art. 24 de l’arrêté royal du 30 janvier 2001) et les principes de prudence, de sincérité et de bonne foi (art. 32 de l’arrêté royal du 30 janvier 2001).
Toutefois, postérieurement à ses avis mentionnés, la CNC déclare en page 8, in fine du point III, d’une note non datée intitulée « Document de consultation concernant l’application du règlement IAS et la convergence du droit belge des comptes annuels et des normes IAS » qu’elle « entend établir ses avis dans la ligne des normes IAS applicables et de leurs interprétations, pour autant que celles-ci soient compatibles avec le droit belge des comptes annuels en vigueur ».
Cette déclaration pourrait amener les entreprises à considérer que les avis antérieurs peuvent légitimement être tempérés par la prise en considération de l’évolution des cadres normatifs et particulièrement des principes des normes IAS/IFRS, quoique ces dernières ne soient pas nécessairement applicables aux comptes statutaires. Cette approche a toutefois l’inconvénient de conduire à traiter différemment des situations similaires, en fonction d’une appréciation subjective des organes dirigeants des entreprises concernées.
Le « Traité de comptabilisation » par J. Antoine, R-M Dehan-Maroye et C. Dendauw, Bruxelles, De Boeck, 2004, p. 218 précise : « La comptabilité doit … prendre en considération non seulement les dettes appuyées par un titre de créance, c’est-à-dire les dettes contractuelles, mais aussi les dettes estimées… Les dettes estimées doivent être constatées lorsque leur montant peut être raisonnablement évalué avec précision, soit en fonction de l’application des prescriptions de la législation fiscale ou sociale, soit en fonction de dispositions contractuelles. ». La note de bas de page fait référence aux impôts estimés et au pécule de vacances.
Dans la situation faisant l’objet de la question, il faut examiner si la dette peut être estimée avec suffisamment de précision et de certitude. Au cas où cette estimation n’est pas suffisamment fiable et précise, afin de donner une image fidèle, on pourrait éventuellement envisager la constitution d’une provision (bien que cela ne réponde pas à la définition figurant à l’article 50 de l’arrêté royal du 30 janvier 2001, mais la provision constituée en application de l’article 40 de l’arrêté royal ne répond pas non plus à la définition). Cette provision, comme toute provision, devrait chaque année faire l’objet d’une appréciation actuelle. La comptabilisation d’une provision peut être justifiée par référence à la norme IAS 37, paragraphe 14. La contrepartie, selon le cas, de l’actualisation de la dette ou de la provision, serait portée à l’actif sous les immobilisations financières.
Une telle approche présente l’avantage de comptabiliser, dès l’acquisition, la participation à une valeur proche de la juste valeur par opposition à la seule comptabilisation du prix payé au comptant. Le recours à cette approche devra toutefois faire l’objet d’une mention et d’une justification dans l’annexe.
Du point de vue des comptes consolidés
Les développements exposés ci-dessus incitent à penser qu’il ne s’agit pas d’une société cotée. S’il n’en était pas ainsi, seules les normes IAS/IFRS seraient de mise.
Comme le faisait l’entreprise, on peut considérer que la méthode recommandée par la CNC dans son avis 126/9 aura un impact déséquilibré et déphasé sur les résultats de l’ensemble consolidé. Toutefois, il lui est parfaitement possible d’éviter qu’il en soit ainsi en retraitant selon les méthodes pertinentes des IAS/IFRS les comptes statutaires pour les besoins de la consolidation.
En ce qui concerne plus particulièrement l’argument relatif à un amortissement sur cinq ans du goodwill de consolidation, il n’y a pas lieu de concevoir qu’il s’agit en l’espèce d’une règle. D’une part, il faut affecter une partie de la différence de consolidation aux actifs et passifs dont la « fair value » est différente de leur valeur comptable dans les comptes statutaires (art. 140 de l’arrêté royal du 31 janvier 2001). D’autre part, le solde subsistant, c'est-à-dire le goodwill (pour autant qu’il s’agit d’un écart de consolidation à l’actif) proprement dit doit être amorti sur la période d’utilité probable ce qui implique une appréciation au cas le cas. En IFRS ce goodwill ne sera pas amorti d’une façon systématique mais fera l’objet d’un « impairment test » annuel, qui donnera lieu à une prise en charge du déclin éventuel de la valeur réelle (IFRS 3, paragraphes 51-57).
Dans tous les cas, il appartient au conseil d’administration de la société de prendre ses responsabilités, et au commissaire de s’assurer du respect des principes généraux relatifs à l’établissement des comptes annuels. De plus, une information détaillée doit être fournie à l’annexe aux comptes annuels.
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