27 oktober 2023

Des sociétés de logements du secteur public ayant la forme d’une SCRL sous l’ancien Code des sociétés souhaitent adopter la forme d’une SRL. La volonté de la tutelle de ces sociétés est qu’elles deviennent intégralement publiques. Or leur actionnariat intègre quelques coopérateurs privés. Est-il possible de les rembourser alors que les tests de solvabilité ne sont pas concluants ?

 

  1. La situation suivante est décrite : « Nous sommes commissaires dans plusieurs sociétés de logements du secteur public (SLSP). Ces dernières étaient sous la forme de Sociétés Coopératives à Responsabilité Limitée sous l’ancien Code des Sociétés. Elles ont donc jusqu’au 1er janvier 2024 pour réaliser la mise en conformité de leurs statut et faire choix de la forme juridique qu’elles adopteront, SRL ou SC. Bon nombre d’entre elles semblent se diriger vers la SRL pour diverses raisons qui leur sont propres. Leur actionnariat intègre historiquement des coopérateurs privés, qui détiennent quelques parts de façon presque anecdotique face aux proportions des pouvoirs publics (communes, provinces, CPAS, etc.). La volonté de la Tutelle de ces sociétés est que les SLSP deviennent intégralement publiques au nom de l’intérêt général. Ces sociétés, avant mise en conformité, interrogent ainsi leurs « privés » afin de voir s’ils désirent conserver leurs actions ou les céder. En effet, leur sortie entraînerait, après adoption de la forme de SRL, une passation d’acte chez le notaire, ce que beaucoup veulent éviter naturellement. C’est ainsi que bon nombre de nos clients se retrouvent dans la situation suivante :

    -          Une volonté de rembourser les coopérateurs privés désirant sortir, et ce avant mise en conformité des statuts ;

    -          Un double test (solvabilité & liquidité) à réaliser afin de couvrir ces remboursements ;

    -          Un test de solvabilité qui n’est pas « concluant », les situations comptables des SLSP présentant un actif net corrigé négatif ;

    -          Des remboursements qui n’excédent jamais quelques milliers, voire quelques centaines d’euros, pour des pieds de bilan et des flux en comptes de résultats de plusieurs dizaines de millions d’euros.

     

    La question se pose alors de savoir si ces remboursements sont contraires aux prescrits légaux au vu du test non concluant d’actif net, et ce compte tenu de leur caractère on ne peut moins significatif. Si la réponse est négative, d’autres pistes vous semblent-elles envisageables ? »

     

  2. Avant de répondre à la question, il convient d’opérer une distinction entre d’une part la société coopérative à responsabilité limitée qui répond à la nouvelle définition de la société coopérative reprise à l’article 6:1 du Code des sociétés et des associations ([1]) (ci-après « CSA ») et la société coopérative à responsabilité limitée qui ne correspond pas à cette nouvelle définition légale. En effet, cette distinction est importante pour l’application du droit transitoire.

     

  3. Afin d’être complet, l’ICCI évoquera les deux hypothèses ci-dessous, bien qu’en ce qui concerne les sociétés de logement du secteur public, la finalité coopérative est en principe inhérente à ce type de sociétés. En règle générale, ces sociétés correspondent donc bien à la nouvelle définition prévue par l’article 6:1 CSA.

     

  4. La première hypothèse examinée est donc celle où les SCRL actuelles répondent à la définition de l’article 6:1 CSA.

     

    Nous nous référons à l’article 39, §2 de la loi du 23 mars 2019 introduisant le Code des sociétés et des associations et portant des dispositions diverses, lequel dispose ce qui suit :

    « § 2. A partir du 1er janvier 2020 ou, pour les sociétés, associations ou fondations qui ont fait usage de l'option prévue au paragraphe 1er, alinéa 2, à partir de la publication de la modification des statuts visée dans cet alinéa, les dispositions impératives du Code des sociétés et des associations deviennent applicables. Les clauses des statuts contraires aux dispositions impératives du Code des sociétés et des associations sont réputées non écrites à dater de ce jour. Les dispositions supplétives du Code des sociétés et des associations ne deviennent applicables que si elles ne sont pas écartées par des clauses statutaires.

      A compter de ce jour les dénominations et abréviations des formes de sociétés suivantes se lisent de plein droit comme suit alors même que les statuts n'auraient pas été mis en conformité avec les dispositions du Code des sociétés et des associations: la "société en commandite simple" comme "société en commandite", la "société privée à responsabilité limitée" comme "société à responsabilité limitée", la "société coopérative à responsabilité limitée" comme "société coopérative" pour autant que la société réponde à la définition de l'article 6:1 du Code, l'abréviation SCS comme SComm, SPRL comme SRL, SCRL comme SC pour autant que la société réponde à la définition de l'article 6:1 du Code.

      A compter de ce jour la partie libérée du capital et la réserve légale des sociétés à responsabilité limitée et la partie libérée de la part fixe du capital et la réserve légale des sociétés coopératives à responsabilité limitée qui répondent à la définition de société coopérative énoncée à l'article 6:1 du Code sont converties, de plein droit et sans accomplissement d'aucune formalité, en un compte de capitaux propres statutairement indisponible. La partie non libérée du capital des sociétés à responsabilité limitée et la partie non libérée de la part fixe du capital des sociétés coopératives à responsabilité limitée sont converties de la même manière en un compte de capitaux propres "apports non appelés". Lors de la libération, les montants versés seront comptabilisés dans le compte "capitaux propres" indisponible. »

    Sur base de ce qui précède, les dispositions impératives du CSA relatives à la SC s’appliquent d’office aux SCRL qui répondent à la nouvelle définition légale et ce depuis le 1er janvier 2020, même si celles-ci n’ont pas adapté leurs statuts.

    Une liste exemplative des dispositions impératives est fournie dans l’exposé des motifs ([2]) et comprend « les règles en matière de distribution de bénéfices dans la SRL (art. 5:141 à 5:144) et l’application de ces règles aux autres formes de distribution (acquisition d’actions ou de certificats propres, art. 5:145) ». Par conséquent, les règles de distribution des bénéfices dans la SC sont de nature impérative et sont automatiquement applicables aux SCRL qui répondent à la définition de l’article 6:1 CSA.

    L’article 6:115, alinéa 1er CSA dispose : « Aucune distribution ne peut être faite si l'actif net de la société est négatif ou le deviendrait à la suite d'une telle distribution. Si la société dispose de capitaux propres qui sont légalement ou statutairement indisponibles, aucune distribution ne peut être effectuée si l'actif net est inférieur au montant de ces capitaux propres indisponibles ou le deviendrait à la suite d'une telle distribution. Pour l'application de cette disposition, la partie non-amortie de la plus-value de réévaluation est réputée indisponible ».

    L’article 6:120, §1er, al.2, 6° CSA confirme que « Nonobstant toute disposition statutaire contraire, les actionnaires ont le droit de démissionner de la société à charge de son patrimoine.

      Les statuts règlent les modalités d'une telle démission, étant entendu que: (…)

    6° le montant auquel l'actionnaire a droit en cas de démission est une distribution telle que visée aux articles 6:115 et 6:116. »

    Cependant, le troisième alinéa de cette même disposition prévoit que : « Nonobstant toute disposition statutaire contraire, si la part de retrait visée à l'alinéa 2, 6°, ne peut être payée en tout ou partie en application des articles 6:115 et 6:116, le droit au paiement est suspendu jusqu'à ce que les distributions soient à nouveau permises. Le montant restant dû sur la part de retrait est payable avant toute autre distribution aux actionnaires. Aucun intérêt n'est dû sur ce montant. ».

    Par conséquent, dans l’hypothèse où les SCRL actuelles répondent à la définition de l’article 6:1 CSA, et que le test d’actif net est négatif, l’organe d’administration devra suspendre le paiement de la part de retrait jusqu’à ce que les distributions soient à nouveau permises. Ceci constitue une exception au principe tel que prévu à l’article 6 :120, al.2, 4° CSA, selon lequel la part de retrait doit être payée dans le mois qui suit la prise d’effet de la démission.

  5. Dans l’hypothèse, en l’espèce peu probable, où les SCRL actuelles ne correspondraient pas à la nouvelle définition de l’article 6:1 CSA,  l’article 41, §1er de la loi du 23 mars 2019 introduisant le Code des sociétés et des associations et portant des dispositions diverses dispose :

« Les personnes morales qui ont adopté la forme légale d'une société en commandite par actions, d'une société à finalité sociale, d'une société agricole, d'un groupement d'intérêt économique, d'une société coopérative à responsabilité illimitée, d'une société coopérative à responsabilité limitée ne répondant pas à la définition de société coopérative à l'article 6:1 du Code des sociétés et des associations ou d'union professionnelle restent soumises aux dispositions du Code des sociétés, respectivement de la loi du 31 mars 1898 sur les unions professionnelles, jusqu'à leur transformation en une autre forme légale, étant entendu que, dès le jour où le Code des sociétés et des associations leur est applicable conformément à l'article 39, § 1er, alinéa 1er ou 2, en outre: (…)

- les dispositions impératives du même Code qui s'appliquent à la société à responsabilité limitée à l'exception du livre 2, titre 7, et livre 5, l'article 5:1 et les titres 5 et 6, deviennent applicables à la société coopérative à responsabilité limitée qui ne répond pas à la définition de société coopérative énoncée à l'article 6:1 du Code. »

 

Il découle de ce qui précède que les SCRL ne correspondant pas à la nouvelle définition légale sont régies à la fois par des dispositions impératives de l’ancien Code des sociétés, et par de nouvelles dispositions impératives du CSA. En cas de conflit entre ces deux catégories de dispositions, les dispositions impératives du nouveau Code prévalent (art. 41, § 1er, in fine, de la loi du 23 mars 2019 précitée).

 

Néanmoins, le titre 5 du livre 5 du CSA (« Du patrimoine de la société »), n’est pas applicable à une SCRL ne répondant pas à la définition de l’article 6:1 CSA. Par conséquent, le double test n’est, pour le moment, pas applicable pour ces sociétés et les dispositions pertinentes du Code des sociétés demeurent applicables jusqu’au 1er janvier 2024.

 

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Mots-clefs : Tests d’actif net et de liquidité, Code des sociétés et des associations, Droit transitoire

Sleutelwoorden : Nettoactieftest en liquiditeitstest, Wetboek van vennootschappen en verenigingen, Overgangsrecht


([1]) « La société coopérative a pour but principal la satisfaction des besoins et/ou le développement des activités économiques et/ou sociales de ses actionnaires ou bien de tiers intéressés notamment par la conclusion d'accords avec ceux-ci en vue de la fourniture de biens ou de services ou de l'exécution de travaux dans le cadre de l'activité que la société coopérative exerce ou fait exercer. La société coopérative peut également avoir pour but de répondre aux besoins de ses actionnaires ou de ses sociétés mères et leurs actionnaires ou des tiers intéressés que ce soit ou non par l'intervention de filiales. Elle peut également avoir pour [1 but]1 de favoriser leurs activités économiques et/ou sociales par une participation à une ou plusieurs autres sociétés. »

([2]) Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 54-3119/001, pp. 349-351, cf. 54K3119001.pdf (lachambre.be).

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